Juillet 1938, la honteuse conférence d’Evian
En 1938, Hitler est déjà au pouvoir en Allemagne depuis quelques années et sa politique anti-juive y est cruellement à l’œuvre. On n’en est pas encore à la Shoah, mais les victimes d’Hitler sont nombreuses à chercher refuge ailleurs. Pour répondre à cette situation, Franklin D. Roosevelt, Président des Etats-Unis, organise une conférence internationale, qui se tient à Evian, à huis clos, du 6 au 14 juillet, sur les bords du lac Léman. 32 pays sont représentés, mais, comme actuellement, l’égoïsme des démocraties est la seule réponse au désarroi des réfugiés. Personne ne veut les recevoir. Cette honteuse fermeture des portes permit d’intensifier les persécutions antisémites partout en Europe. Les arguments « justifiant » cette attitude indigne étaient les mêmes qu’aujourd’hui, préjugés, coût de la solidarité et, il faut bien le dire, une certaine forme de racisme.
La propagande allemande, très active et triomphante, titre au lendemain de la conférence : « Juifs à vendre ; même à bas prix, personne n’en veut ! ».
Quant à Hitler, dans les jours qui suivent, avec son cynisme haineux, il ne se prive pas de narguer les Occidentaux sur cet échec : « C’était honteux de voir les démocraties dégouliner de pitié pour le peuple juif et rester de marbre quand il s’agit vraiment d’aider les Juifs ! »
Grâce à ce gâchis, quelques mois plus tard, le 9 novembre 1938, la haine en action peut se déployer avec une nouvelle ampleur et on assiste à la « Nuit de Cristal ».
L’autre 9 novembre, il y a 80 ans.
Le 7 novembre 1938, un jeune homme de 17 ans, Herschel Grynszapan, révolté par l’expulsion en Pologne de sa famille résidant à Hanovre, se rend à l’ambassade d’Allemagne à Paris et tire sur un secrétaire d’ambassade, Ernst vom Rath. Ce dernier est conduit immédiatement en clinique et le jeune Herschel est arrêté. La police française appréhende aussi Abraham et Chawa Grynszapan, l’oncle et la tante de Herschel, et la justice les condamne pour « avoir accueilli un étranger en situation irrégulière ».
Dès que Hitler prend connaissance de ce fait, il élève Ernst Vom Rath au rang de conseiller d’ambassade et envoie ses médecins personnels à son chevet. Vom Rath décède le 9 novembre 1938 à 16h30.
Ce soir-là, les chefs nazis sont massivement réunis à l’ancien hôtel de ville de Munich pour commémorer le putsch de 1923. Goebbels y prend la parole pour les exhorter aux représailles et leur demande d’inciter et d’organiser partout des pogroms anti-juifs, en laissant croire à une réaction spontanée de la population.
Le crime va commencer immédiatement et se continuer toute la nuit du 9 au 10 novembre.
Les agresseurs se ruent à l’assaut des symboles de la vie juive. Des femmes sont violées, des gens sont tués, des magasins détruits, des synagogues brûlées et une vingtaine de milliers de juifs sont internés dans des camps de concentration. Ce sont sans doute les Berlinois qui ont donné le nom de « kristallnacht », nuit de cristal, à cet immense pogrom, en raison des milliers d’éclats de verre des vitrines brisées répandus sur la chaussée. En Autriche, la réaction de haine antisémite fut au moins aussi violente sinon plus.
Après ces crimes, le gouvernement allemand condamne la communauté juive à payer un milliard de marks pour avoir causé des dommages « en provoquant la juste colère du peuple allemand ». Cette amende sera prélevée sur les avoirs confisqués aux Juifs depuis avril 1938.
En Allemagne seulement, sans parler de l’Autriche, la nuit de cristal a provoqué directement la mort d’une centaine de Juifs, sans compter les décès ultérieurs des blessés et les suicides. 7.500 magasins ont été détruits et 250 synagogues brûlées.
Cette nuit de haine fut le prémisse de la nuit du siècle, de ce crime que fut la Shoah. Elle a montré au monde, ou du moins à celles et ceux qui avaient les yeux ouverts, le visage du nazisme. La nuit de cristal a provoqué une grande indignation dans la presse internationale. Mais elle n’a pas changé l’attitude de la plupart des grands pays. Le 23 août 1939, Staline et Ribbentrop signent le pacte germano-soviétique. Quant au ministre français des affaires étrangères, Georges Bonnet, il discute poliment de la question juive en France avec son homologue allemand, von Ribbentrop. Georges Bonnet soutiendra d’ailleurs, après la défaite de la France, la politique du Maréchal Pétain. Les grandes institutions n’ont pas sérieusement réagi. En Allemagne, ni les églises, ni les milieux universitaires, ni les militaires n’ont émis de protestation.
Selon Friedlander, un seul prêtre allemand protesta contre la Kristallnacht : Lichtenberg, vicaire général de la cathédrale Sainte-Edwige à Berlin, avait osé dire qu’une synagogue en flammes « c’est également la maison de dieu ». Tous les autres avaient gardé le silence.
Quelques jours après la mort de Vom Rath, et au lendemain de la nuit de cristal, Georges Bonnet, ministre des affaires étrangères, assiste à la cérémonie funèbre en sa mémoire au temple luthérien de la rue Blanche à Paris.
Herschel Grynszapan, lors d’un transfert, et profitant d’un bombardement, arrive à s’échapper. Récupéré par la police fin 1940, il est livré à l’Allemagne par la France. Sans qu’on sache précisément ce qu’il est devenu, la dernière trace de lui date de fin janvier 1941 à la prison de la Gestapo (Geheime staatspolizei – police secrète d’état) à Sachsenhausen.
Eugenio Maria Giuseppe Giovanni Pacelli est élu pape le 2 mars 1939 sous le nom de Pie XII. Il avait été nonce à Munich en 1917, puis à Berlin de 1920 à 1929. Il n’a jamais caché sa germanophilie et il s’est abstenu, dans le « souci de protéger les catholiques allemands », de critiquer avant la guerre le régime nazi. Pie XII avait assisté en 1919 à la révolution et à la république des Conseils à Munich. Il était d’un anticommunisme convulsif et viscéral. Et en juin 1941, il était visiblement plus intéressé par l’opération Barbarossa lancée par l’Allemagne nazi contre l’Urss que par le sort des Juifs et des divers persécutés par les hitlériens.