16 ET 17 JUILLET 1942 : LA RAFLE DU VEL D’HIV ET LE SIEGE DE STALINGRAD

Le Président Macron, 75 ans après la rafle du Vel d’Hiv, a organisé une grande manifestation pour commémorer l’un des forfaits les plus ignobles de l’Etat français. Mais si ce crime est révélateur de ce que sont les classes dirigeantes de notre pays, il nous instruit aussi sur la manière dont on édulcore le processus qui a conduit à sa réalisation ainsi que sur l’impunité dont ont bénéficié ceux qui, à des titres divers, ont permis cette horreur.

En 1942 et depuis Montoire où Pétain s’était engagé dans une politique de collaboration avec les nazis, soutenue par l’essentiel de l’Etat français (Police, justice, administration, industrie et même clergé…), une grande partie de « l’élite » pense qu’Hitler peut gagner et attend qu’il « nous débarrasse du bolchévisme », c’est-à-dire, à cette époque, de l’Union Soviétique.

Montoire

La plupart des politiques et des hauts fonctionnaires sont dans une entreprise de séduction de l’occupant, il s’agit de lui montrer qu’on est loyal, qu’on en rajoute sur ses crimes et, parmi eux, il y a ceux qui partagent peu ou prou l’idéologie nazie et ceux qui veulent seulement conserver leur place ou en gagner une meilleure.

Et c’est ainsi que des gens comme René Bousquet, Jean Legay ou Victor Barthélémy (cet ancien communiste, proche de Doriot, à la tête de sa milice, a participé à la rafle en tant que supplétif de la police française. Plus tard, en 1973, il fondera le Front national avec JM Le Pen et il en sera le secrétaire général) vont mettre toute leur énergie pour contribuer à cette ignominie. René Bousquet, secrétaire général de la Police de Vichy, proposera même aux Allemands, qui lui demandaient d’arrêter tous les Juifs de plus de quinze ans, de baisser la barre à deux ans pour cette rafle du Vel d’Hiv. Il a aussi mis la police française à disposition pour diligenter les arrestations. Et la police française a réalisé ce sale boulot sans manifester beaucoup d’état d’âme.

Rappelons aussi que François Mitterrand, qui devient l’ami de Bousquet pendant la collaboration, est au service de Vichy où il travaille au Commissariat au reclassement des prisonniers de guerre. Mission qui lui vaudra, sous le parrainage de deux anciens de la Cagoule (groupe d’extrême droite, adepte des coups de force, actif à l’époque du front populaire), d’être décoré de la plus haute distinction de ce régime : la Francisque.

A la même époque, les Allemands avaient décidé de déclencher l’opération Barbarossa. Tous les réactionnaires du monde, y compris le Pape, souhaitaient qu’Hitler détruise l’URSS. Les Soviétiques, surpris par cette offensive, en contradiction avec le pacte germano-soviétique qu’ils avaient signé avec les nazis en 1939 sur le corps de la Pologne, se reprennent après une avancée fulgurante des troupes allemandes et de leurs alliés roumains, italiens, hongrois et croates. Le 17 juillet 1942, le jour de la rafle, l’armée allemande et ses alliés arrivent aux portes de Stalingrad. Et en quelques mois tout va s’inverser. Les Allemands sont confrontés à une résistance héroïque et désespérée qui les bloque dans la ville. Plus les semaines passent et plus leurs difficultés s’accroissent. L’hiver venant, la situation devient impossible et le 2 février 1943, après avoir perdu 400.000 soldats, les Allemands se rendent. 91.000 sont alors fait prisonniers par les soviétiques dont 2.500 officiers. Quant au Maréchal Friedrich Paulus, le plus haut gradé de la Wehrmacht, il a été le premier capturé, le 31 janvier, et il va très rapidement accepter de collaborer avec les  services de Staline. 800.000 soviétiques, dont de nombreux civils, ont laissé leur vie dans les combats de Stalingrad. La machine soviétique se met alors en marche vers l’Allemagne et plus rien ne va l’arrêter.

Ce jour-là tout le monde comprend qu’Hitler a perdu la guerre et la seule question encore en suspens c’est de savoir quelle armée, américaine ou soviétique, arrivera en premier à Berlin. A partir de février 1943 la résistance va se gonfler de tous les collabos opportunistes : Mitterrand et Bousquet en sont, chacun dans sa catégorie, de significatives illustrations. Les services rendus à la Résistance depuis  ce moment-là leur permettront d’assurer leur défense pour les lendemains de la libération.

Et, effectivement, de nombreux collabos, pourtant de premier plan, comme Bousquet, passeront au travers des mailles du filet de l’épuration parce qu’ils ont su très vite se mettre du bon côté, après avoir fait le même choix, quelques années plus tôt, au service de Pétain. Il faudra attendre des décennies pour que des comptes soient demandés à Touvier, à Papon (responsable de la déportation de centaines de Juifs, dont de nombreux enfants, sous Pétain, en tant que secrétaire général de la préfecture de Bordeaux et qui, 20 ans plus tard, préfet de Police de Paris, le 17 octobre 1961, organise le massacre d’une manifestation de travailleurs algériens dans la capitale) ou à Bousquet. Ce dernier a pu mener une lucrative carrière à la Banque d’Indochine. De ce poste, il a assuré le financement des campagnes présidentielles de Mitterrand en 1965 contre de Gaulle et en 1974 contre Giscard d’Estaing. Il a aussi pris la direction de la Dépêche du Midi en 1959.

Lorsque l’heure des comptes arrive, notamment après les révélations de Serge Klarsfeld, à la fin des années 1980, sur son rôle dans la rafle du Vel d’Hiv, son ami Mitterrand est alors président de la République. Il fait tout son possible, avec l’aide de son ministre de la justice, Georges Kiejman, pour éviter le procès, qui pourrait aussi l’éclabousser.

Et alors que la possibilité d’une action judiciaire se précise, le 8 juin 1993, il est assassiné par Christian Didier, présenté comme un déséquilibré. Et le dernier procès tenable concernant Bousquet sera celui de son assassin, condamné à dix ans de prison en 1995 et qui n’en fera que cinq…

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Quant à Mitterrand il passe pour la figure emblématique de la gauche après avoir milité dans sa jeunesse dans les rangs de la Cagoule, travaillé pour le régime de Vichy et avoir été décoré de la Francisque, avoir combattu le peuple algérien (« l’Algérie c’est la France, la seule négociation c’est la guerre »). Après son arrivée au pouvoir en 1981, il a écrit à la Haute autorité pour ouvrir les portes des grandes chaînes de télévision à JM Le Pen, ce qui permettra au Front de la haine (dont Victor Barthélémy était le secrétaire général quelques années plus tôt) de s’inscrire durablement dans le champ politique français. Président de la République, il a fait fleurir chaque année la tombe du Maréchal Pétain. Il a donné l’appui de la France à la première guerre contre l’Irak, qui a déstabilisé toute la région pour des décennies. Et il a fini sa présidence en apportant sa complicité aux génocidaires rwandais. Ce qui est clair, c’est qu’il est bien représentatif d’une certaine France, mais pas de celle qu’on aime le plus !

La France n’a jamais vraiment réglé la question du comportement de son appareil d’Etat dans cette période et la multiplication des commémorations, des déclarations grandiloquentes et des leçons d’histoire à géométrie variable ne constituent en réalité que la manifestation de ce profond malaise français.

Joyeuse, le 17 juillet 2017

Jacques Soncin

LA GUERRE DES ONDES

Le 28 juin 1944, après plusieurs jours de planques et de repérages, un commando dirigé par Morlot s’engouffre vers 6h du matin dans le n°10 de la rue de Solférino à Paris. Morlot et l’un de ses camarades pénètrent brutalement dans la chambre ou dort un couple. Réveillée, la femme hurle, l’homme panique. Les coups de feu claquent, il est touché. Morlot s’avance et lui inflige le coup de grâce. Ainsi est mort Philippe Henriot, secrétaire d’Etat à l’information et à la propagande du gouvernement Laval, sous Pétain. Après cette action, les miliciens se déchaînent pour retrouver les responsables : arrestations, tortures, représailles. Mais ils ne remonteront jamais jusqu’à Morlot.

Qui est Morlot ?

Morlot est le pseudonyme de Charles Gonard, un résistant intrépide et courageux. Quelques jours avant l’exécution d’Henriot, il a organisé l’évasion de Jean-Pierre Lévy, responsable du mouvement Franc-tireur, un des chefs de file du Conseil national de la résistance. Dès 1941, après la débâcle, dégoûté par le pétainisme, après avoir essayé en vain de rejoindre Londres, Charles Gonard, qui n’a pas encore vingt ans, s’engage contre l’occupant. Envoyé dans le sud de la France, il multiplie les actions contre les Allemands et leurs collabos à Marseille et Nice : sabotages, exécutions de traîtres, attaques contre la milice. En février 1944, il intègre à Paris le Comité d’action militaire (COMAC) et à seulement 23 ans, il forme les groupes francs des FFI et il réorganise la structure du réseau malmené par la répression. Son groupe composé professionnellement d’experts et de praticiens de la clandestinité, détruit les fichiers du STO et liquide des membres français de la Gestapo (Geheime Staatspolizei). Une fois la France libérée, Charles Gonard a mené une vie « normale », il a dirigé la compagnie chérifienne des textiles au Maroc et il a élevé plusieurs enfants… Il s’est éteint le 12 juin 2016 à Vence, dans les Alpes Maritimes, à l’âge de 95 ans.

Philippe Henriot

Philippe Henriot, né en 1889, est issu d’une famille catholique, de droite et antisémite. Il fait ses études à l’Institut catholique de Paris. Il est nommé professeur de lettres dans le privé. Par la suite il prend la direction du journal de l’Action catholique à Bordeaux. Il entamera une carrière d’activiste politique d’extrême-droite en participant aux manifestations des Croix de feu, qui ont menacé la République. Dans l’entre-deux-guerres, Henriot est germanophobe et belliqueux envers l’Allemagne. Mais l’arrivée d’Hitler au pouvoir le radoucit et il devient partisan de l’entente avec l’Allemagne. Au moment de la débâcle, il est député. Dès 1940, le défilé de troupes nazies à Paris, pour lui, comme pour le reste de l’extrême-droite, constitue une « divine surprise ». Il se rallie à Pétain. Très rapidement, il devient la voix du régime de Vichy. Deux fois par jour, sur Radio Vichy ou sur Radio Paris, il vitupère contre la résistance, la France-libre, le Général de Gaulle, les communistes. On l’entend partout en France sur les ondes de Radio Paris. La Radio de la résistance, au micro de la BBC, lui répond et une espèce de guerre des ondes s’instaure ainsi pendant cette période.

Pierre DAC

André Isaac, alias Pierre Dac, est un humoriste, né en 1893. Il s’engage dès le début dans la résistance. Sa chaleur, son intelligence et son humour feront des ravages sur la Radio de la Résistance. C’est lui qui a mis au point la ritournelle : « Radio Paris ment, Radio Paris ment, Radio Paris est allemand« , que tout le monde connaît et parfois fredonne à cette époque. Un échange entre les deux hommes donne une idée de ce qu’était le versant radiophonique de la guerre impitoyable entre collabos et résistants.

Tout commence lorsque Pierre Dac, avec sa causticité imparable, raille un discours de Philippe Henriot depuis l’antenne londonienne. Ce dernier réplique ainsi, le 10 mai 1944, au micro de Radio Paris :

« Assurément, personne n’est obligé de se rendre à mes arguments et tout le monde a le droit d’ironiser sur ce que je dis (…) Mais où nous atteignons les cimes du comique, c’est quand notre Dac prend la défense de la France. Vraiment les loufoqueries de l’Os à moelle ne m’ont pas toujours fait rire, mais le juif Dac s’attendrissant sur la France, c’est d’une si énorme cocasserie qu’on voit bien qu’il ne l’a pas fait exprès. Qu’est-ce qu’Isaac, fils de Salomon peut bien connaître de la France, à part la scène de l‘ABC où il s’employait à abêtir un auditoire qui se pâmait à l’écoute ? Et il faut vraiment qu’on soit bien à court d’avocats chez vos patrons pour être tombé de Bénazet en Isaac et s’être résigné à accepter comme porte-parole un homme dont le pseudonyme fait un bruit de chute qui apparaît déjà comme un présage… » (Editoriaux de P. Henriot, fascicule n°12)

La réponse de Pierre Dac au micro de la BBC est cinglante et sans appel :

« Puisque vous avez si obligeamment cité au cours de votre laïus me concernant, les noms et prénoms de mon père et de ma mère, laissez-moi vous dire que vous en avez oublié un, celui de mon frère. Si d’aventure vos pas vous conduisent du côté du cimetière Montparnasse, entrez par la porte de la rue Froidevaux, tournez à gauche dans l’allée et à la sixième rangée, arrêtez-vous devant la dixième tombe. C’est là que reposent les restes de celui qui fut un beau, brave et joyeux garçon fauché par un obus allemand, le 8 octobre 1915, aux attaques de Champagne. C’était mon frère. Sur la modeste pierre tombale, sous ses noms et prénoms et le numéro de son régiment, on lit cette simple inscription  : Mort pour la France à l’âge de 28 ans. Voilà Monsieur Henriot, je le répète, ce que signifie pour moi la France. Sur votre tombe, si toutefois vous en avez une, il y aura aussi une inscription. Elle sera ainsi libellée : Philippe Henriot mort pour Hitler, fusillé par les Français. Bonne nuit, Monsieur Henriot. Et dormez bien… si vous le pouvez  ». (Cité par Hervé le Boterf, la vie parisienne sous l’occupation, tome II France-Empire, 1975)

La prophétie de Pierre Dac se réalisera moins de deux mois plus tard. Evidemment, on ne peut pas comprendre la violence de ces échanges radiophoniques si on oublie les crimes terribles d’Hitler et de ses complices, la Gestapo, les tortures, les déportations, les camps de concentrations, les chambres à gaz, ces crimes qui ont fait pendant toute la durée de la guerre presque 50 millions de morts sur toute la planète… Après la guerre, Pierre Dac reprend son activité d’humoriste. Son duo avec Francis Blanche remportera un véritable succès et sa popularité ne faiblira pas jusqu’à sa mort, le 9 février 1975.

A l’époque, la radio n’a que quelques dizaines d’années d’existence, pourtant ce média a déjà pris une importance considérable dans la vie des populations. Tout le monde, dans ces années là, colle son oreille au récepteur pour écouter les voix crachotantes et parasitées de la BBC ou celles tonitruantes et claires de Radio Paris. Les puissances financières et politiques convoitent déjà ce puissant moyen de communication pour influer sur les peuples et les  opinions publiques. Hitler et Goebbels ont su l’utiliser à leur profit pour compléter le dispositif qui a mis le peuple allemand à leur botte. Mais ce poids du média n’était qu’un début et il va se développer, surtout avec l’apparition de nouveaux moyens, jusqu’à aujourd’hui.

Marseille, le 28 juin 2017

Jacques Soncin