Archives pour la catégorie Carnets de voyage

Kigali : le Mémorial du génocide

Arrivé à Kigali le 27 mai 2014, le Mémorial est l’un des premiers endroits où j’ai tenu à me recueillir, dès le mercredi 28 mai. Construit récemment, c’est un bâtiment imposant et sobre. De nombreux cadavres et restes humains ont été inhumés dans le terrain autour de ce lieu. Il y aurait 200.000 personnes dont les restes seraient ensevelis ici. La visite est un véritable coup de poing. Dans chaque pièce, il y a plusieurs tableaux qui expliquent les divers moments de ce crime terrible : avant,  pendant et après. Plusieurs pièces sont consacrées aux autres génocides : nazisme, Cambodge, ex-Yougoslavie… La description minutieuse de la manière dont les évènement se sont enchaînés au Rwanda, notamment dans les jours qui ont suivi la destruction de l’avion qui transportait les présidents rwandais et burundais, est hallucinante. Les milices étaient prêtes pour l’horreur, elles quadrillaient tout le pays. Elles se sont mises en action immédiatement, à l’appel des médias de la haine, dont Radio Mille Collines. Dans cette folie sanguinaire, il ne s’agissait pas seulement de tuer, mais de faire souffrir : ces criminels violaient et torturaient les parents devant leurs enfants et les enfants devant les parents. Ils obligeaient des membres de la famille à prendre part aux séances de tortures avant de les y soumettre eux-mêmes. Ils jetaient les corps suppliciés dans des latrines et les laissaient agoniser dans d’horribles souffrances… 300.000 enfants ont été tués, près d’un million de personnes ont disparu dans ces conditions. Une telle cruauté, une telle souffrance, infligée à une partie de la population par une autre, horrifie et questionne à la fois. Comment cette furie a-t-elle pu se déclencher ? Pourquoi ce raffinement de cruauté et de torture : les viols, les mutilations, les souffrances terribles, avec la volonté des criminels parfois de les prolonger jusqu’à la mort. Et aussi, évidemment, le silence de la communauté internationale. Le général canadien Dallaire à l’Onu, au début de ces événements, disait qu’avec 5.000 hommes il pouvait arrêter tout ça. Et au lieu d’intervenir, l’Onu a retiré ses troupes. Et la France, et la France… !

A regarder tous ces événements, j’ai à la fois honte et la nausée. Honte, parce que je suis Français et que je ne peux ni ne veux ignorer la part de responsabilité de mon pays dans cette effroyable tuerie. En sortant du mémorial, je regarde Kigali autrement. Cette ville calme, dynamique, raffinée, propre, abrite aujourd’hui encore, les victimes survivantes ou leurs familles et les génocidaires. Certains sont en prison, sans doute parmi ceux qui ont la plus grande responsabilité dans les crimes, mais de nombreux complices silencieux ou actifs sont en liberté… Sortir de ce crime, reconstruire le vivre ensemble, et donner malgré cette horreur un avenir au pays, tel est le challenge de la société rwandaise.

Plaque commémorative apposée au bâtiment de l'Union européenne
Plaque commémorative apposée au bâtiment de l’Union européenne

Des plaques comme celle ci-dessus ont été apposées à de nombreux endroits et surtout sur des immeubles abritant des institutions. La société rwandaise veut se rappeler l’existence de gens dont parfois toute la famille a disparu et dont il ne reste presque plus rien, que ce souvenir d’un nom inscrit sur une plaque… Et la vie à Kigali donne le sentiment que la population dans son ensemble fait un effort colossal pour retrouver cette humanité et inscrire ces événements tragiques dans l’histoire pour en conserver la volonté de ne plus jamais recommencer, sans verser dans le désespoir et l’abandon.

Il faut aussi réfléchir à notre propre société. L’horreur déclenchée par la haine a déjà existé, en France, à l’époque du nazisme et ailleurs en Europe, il n’y a pas si longtemps. Il ne faut jamais oublier les crimes contre l’humanité, non pas pour la vengeance, mais pour la vigilance. Plus jamais ça !

Un samedi au bord du Tanganyika

Aujourd’hui et demain sont des journées un peu calmes pour moi. Ce matin pas de réveil bruyant et petit déjeuner détendu. Après le travail à l’ordinateur, j’entame une longue marche à la recherche du lac Tanganyika. Je me suis d’abord fourvoyé dans un chemin de terre qui débouchait sur une zone embourbée, avec une myriade d’insectes voletant autour de moi. Je m’en suis échappé rapidement et je suis revenu sur mes pas, jusqu’à la route asphaltée et j’ai pris la direction qui me semblait conduire au lac. Après quelques détours et une bonne heure de marche, je suis arrivé sur une plage, à la porte du port de Bujumbura. Il y avait du monde, des familles, des enfants. J’ai fait ce que j’adore faire quand je n’ai rien à faire : j’ai regardé le spectacle de la vie. Le site est superbe.

Jacques Soncin devant le Tanganyika
Jacques Soncin devant le Tanganyika

D’immenses montagnes se dressent derrière ce lac qui s’étale sur 700 km vers le Sud et mesure en moyenne 50 km de large. Sa surface équivaut à presque dix fois celle du Burundi. Sur sa côte ouest, la République démocratique du Congo, au nord le Burundi, à l’est, la Tanzanie et au sud la Zambie. Avec des profondeurs atteignant les 1.500 mètres, il contient 20.000 km3 d’eau, c’est le plus grand réservoir d’eau douce d’Afrique ! (20.000 milliards de litres d’eau). On y trouve des espèces de poissons qui n’existent nulle part ailleurs. Et puis, on n’est pas loin du berceau de l’humanité : c’est sur les rives du lac Victoria que seraient apparus les premiers homos Sapiens, qui, en 150.000 ans vont coloniser toute la planète… Près du lac, un vent frais permanent rend la chaleur supportable. La plage est propre, mais quand on examine les berges un peu plus loin, on peut apercevoir de véritables déchetteries qui en polluent les abords.

Poubelles et détritus aux abords de la rive du Tanganyika
Poubelles et détritus aux abords de la rive du Tanganyika

Un affluent d’eaux usées se jette dans le lac à un endroit occupé par des poubelles et ordures diverses sur lesquelles jouent et pèchent des enfants ! Il est clair que les autorités burundaises ont du pain sur la planche pour organiser la dépollution des rives et prendre des mesures pour respecter ce lac, essentiel à l’économie des pays riverains et bien au-delà. Alors que je marche au bord de la route, sur laquelle circulent de nombreux véhicules, un chevreuil entreprend la traversée : il est percuté avec une grande violence par une camionnette. L’animal, projeté à quelques mètres de l’impact, git inanimé au milieu de cette artère. L’automobiliste peste contre l’animal : sa carrosserie, déjà pas très brillante, a souffert du choc. Puis, il repart, laissant là le malheureux quadrupède inanimé.

Un chevreuil écrasé sur la route.
Un chevreuil écrasé sur la route.

Quelques instants plus tard, une voiture de police arrive sur les lieux. Les fonctionnaires évacuent la bête après avoir constaté qu’elle était sans vie. Seule, une trace de sang sur la chaussée témoigne encore de l’accident… Un peu plus loin, sur le même boulevard, se dresse un immense panneau publicitaire pour Canal+ ! Intrusion médiatique de la France dans le paysage burundais…

Pub de Canal + sur le boulevard qui mène au lac Tanganyika
Pub de Canal + sur le boulevard qui mène au lac Tanganyika

Un voyage paisible

Je pars pour les Grands lacs, d’abord le Burundi et ensuite le Rwanda. L’Institut Panos y agit depuis plusieurs années pour participer à la mise en œuvre de médias pluriels, divers et solidaires et pour qu’existe une législation favorable à l’univers médiatique. Les équipes locales ont choisi de créer et développer un Institut Panos local, indépendant de Panos Europe mais en restant partenaire. C’est ce challenge qu’il faut réussir pour faire en sorte que même dans le travail d’une Ong on privilégie la décision et le travail dans la proximité. Retour à Marseille, le 2 juin prochain.

Bizarrement, pour voyager vers le Burundi, il faut d’abord partir au nord. Aussi, ce mercredi 21 mai au matin, très tôt, un taxi m’a conduit à Marignane. Le trajet entre Saint-Antoine et l’aéroport ne dure pas plus de dix minutes mais le prix de la course, équivaut à un aller Paris Marseille en train ! D’accord, il est venu me chercher à cinq heures, c’est quasiment un horaire de nuit. Ensuite, une heure et demi d’avion pour Bruxelles. Et, après deux heures d’attente, embarquement pour Nairobi via Bujumbura. Le vol par Brussels airlines est plutôt sympa. Beaucoup de places libres. Leur matériel vidéo fonctionne bien et on peut travailler sur ordi pendant le trajet. Huit heure de vol, c’est un peu long : repas, travail, dodo et finalement on atterrit à Bujumbura. Je descends là avec une partie des passagers, l’avion va continuer vers Nairobi. Les démarches administratives à l’arrivée sont réduites au maximum et en quelques minutes on est sorti de l’aéroport. C’est rare, une telle diligence, même en Afrique. Cyprien, responsable de l’Institut Panos Grands Lacs m’attend et me conduit à l’hôtel. Sur le trajet, il m’annonce une excellente nouvelle sur le financement de la toute nouvelle ONG. Voilà qui, malgré la nuit sur la capitale burundaise, met un peu de soleil dans notre cœur ! L’hôtel La Palmeraie est super sympa, les chambres sont grandes, bien aménagées et couvertes par la Wi-Fi. Demain, nous commençons à travailler !