Le soir du 6 avril 1994, un Falcon 50 transportant le président rwandais, Juvénal Habyarimana et son homologue burundais, Cyprien Ntaryamira, est abattu par un missile alors qu’il se trouve en phase d’atterrissage sur l’aéroport de Kigali. Immédiatement, au Rwanda et en France, on laisse entendre que c’est le Front patriotique Rwandais (FPR), composé d’opposants Tutsi au régime Hutu en place à Kigali, qui est responsable de ce tir. Le FPR agit à partir de l’Ouganda, où ses forces sont installées. Dès le lendemain, le Premier ministre hutu modéré, Agathe Uwilingiyimana, dix casques bleus belges de la Minuar chargés de sa protection et plusieurs ministres de l’opposition sont tués.
Commence alors le dernier génocide du XXème siècle. Rythmées par Radio Télévision libre des Mille Collines, mise en place par des proches du président Habyarimana avec l’aide de la France, des tueries à grande échelle sont organisées par les milices hutu Interahamwes et les Forces armées rwandaises (FAR). En quelques mois, d’avril à juillet 1994, plusieurs centaines de milliers de Tutsi et d’opposants Hutu à ce massacre vont être systématiquement exterminés à la machette. Hommes, femmes et enfants sont sauvagement torturés avant d’être tués. On parle de plus de 800.000 morts.
1 – Le Rwanda
Adossé à l’Ouest aux Kivu, provinces de l’Est de la RDC (à l’époque le Zaïre), enclavé entre la Tanzanie à l’Est, l’Ouganda au nord et le Burundi au sud, le Rwanda est un tout petit pays, surtout à l’échelle de l’Afrique, plus petit que son colonisateur, la Belgique. L’opposition Hutu / Tutsi a été fabriquée par les puissances qui se sont emparées du pays, d’abord l’Allemagne, ensuite la Belgique. Et, effectivement, depuis l’indépendance au cours de laquelle les Belges ont remis le pouvoir aux mains des Hutu, une forte hostilité, se transformant en racisme entre les deux communautés, s’est développée et une partie des tutsi s’est alors exilée en Ouganda.
2 – Le rôle de la France
La France, qui occupe le terrain africain depuis la colonisation et les décolonisations, avait quasiment remplacé la Belgique comme puissance tutélaire au Rwanda. Le conflit entre le gouvernement de Habyarimana et le Front patriotique rwandais avait commencé à être réglé par les accords d’Arusha en 1993. Et, le 6 avril, Juvénal Habyarimana revenait d’une réunion où il avait accepté un partage du pouvoir avec le FPR. Les extrémistes Hutu étaient vent debout contre cette décision et la France elle-même n’en était pas satisfaite. On disait dans les milieux proches du pouvoir en France que le FPR était des « Kmers noirs » par référence aux Kmers rouges du Cambodge. Dès l’attentat du 6 avril, la France accuse le FPR. Pourtant, par la suite, tout semble indiquer que le tir provenait du Rwanda. Le rôle obscur du Capitaine Barril, qui a fait partie des super-gendarmes de l’Elysée, fait dire aux milieux proches des Tutsi qu’il n’était pas étranger à cet événement. Le fait est que le génocide s’est déroulé sans que ni la France ni la communauté internationale ne tentent d’y faire obstacle. C’est le FPR, qui, depuis l’Ouganda, a marché sur Kigali pour arrêter le crime. Lorsqu’il fut évident qu’il allait prendre le pouvoir au Rwanda, la France a demandé et obtenu une résolution de l’Onu lui permettant d’intervenir. La résolution 929 du Conseil de sécurité fonde la légitimité de l’opération turquoise, dirigée par le général Jean-Claude Lafourcade. Parties du Zaïre le 22 juin 1994, les forces armées, essentiellement françaises, regroupées dans cette opération vont se déployer au Rwanda et sécuriser à la fois les populations civiles fuyant l’avancée du FPR et les génocidaires craignant le châtiment du nouveau pouvoir. Et ce sont ainsi à des centaines de milliers de personnes que l’Opération Turquoise va permettre de passer du Rwanda au Zaïre voisin où elles vont s’entasser dans d’immenses camps, encadrées par les criminels, qui vont voler, tuer et piller dans les Kivu, où ils se sont réfugiés.
3 – Personnalités françaises au pouvoir et à la décision au moment du génocide :
Président : François Mitterrand ; Premier ministre : Edouard Baladur ; Ministre des Affaires étrangères : Alain Juppé ; Ministre de la Défense nationale : François Léotard ; Secrétaire général de l’Elysée : Hubert Védrine.
En 1994, François de Grossouvre, conseiller Afrique de Mitterrand, plus ou moins en disgrâce, est toujours en poste à l’Elysée où il a son bureau. C’est lui qui a envoyé Paul Barril au Rwanda. Le matin du 7 avril 1994, Grossouvre, apprenant l’attentat contre le président rwandais, se serait écrié: « Les cons, ils n’ont pas fait ça ! ». À l’Élysée, ceux qui étaient favorables à une solution de force au Rwanda accusaient Grossouvre d’être inféodé aux États-Unis dont il était le contact officieux. Quelques heures plus tard, le soir du 7 avril, son corps est découvert dans son bureau. La thèse officielle affirme qu’il s’est suicidé, mais elle est réfutée par sa famille et ses proches.
Si l’implication de la France dans ces événements est incontestable, les dirigeants politiques français, de droite comme de gauche, puisqu’ils partageaient le pouvoir à ce moment-là, dénient toute implication dans les crimes et dans le génocide.
Les Rwandais, ont mis en place une Commission nationale indépendante, présidée par Jean de Dieu Mucyo, qui a publié un rapport accablant concernant la participation de la France. Allant même jusqu’à accuser, témoignages à l’appui, des militaires français dans des viols et des meurtres de Tutsi.
4 – Conséquences régionales
En déstabilisant l’Est du Zaïre, l’opération turquoise a fragilisé l’ensemble du pays. Elle a ainsi provoqué la chute du dictateur Mobutu que la France soutenait depuis le début de l’indépendance du pays. En 1996, l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo, dirigée par Laurent-Désiré Kabila, qui était elle aussi établie en Ouganda, entreprend la conquête du pays. Le 17 mai 1997, Kabila entre à Kinshasa. Mobutu s’enfuit. Le Zaïre devient la République démocratique du Congo (RDC). Immédiatement, le nouveau pouvoir doit faire face à l’appétit des puissances régionales, et notamment du Rwanda voisin, qui aurait bien voulu annexer les Kivu. Après les énormes bouleversements provoqués par l’afflux de plusieurs centaines de milliers de réfugiés, le dirigeant du FPR, Paul Kagamé, désormais aux affaires à Kigali, veut que les génocidaires répondent de leurs crimes. Il envoie ses troupes pour obliger les réfugiés à rentrer au Rwanda et, depuis lors, la guerre n’a jamais vraiment cessé dans ces provinces avec son cortège de crimes, de viols de masse et de mutilations. Des milices pro et anti rwandaises écument la région ainsi que d’autres groupes criminels, entraînant une insécurité permanente et des affrontements sporadiques extrêmement meurtriers. La multiplication des viols et des mauvais traitements contre les femmes sont devenus une cause majeure de déstabilisation sociale, notamment dans les deux Kivu. On estime à plusieurs millions de morts le prix payé par la population de l’est du Congo démocratique.

5 – Barbouzes et basses œuvres de la France
Paul Barril est un ancien gendarme de l’Elysée, il a trempé notamment dans l’affaire des Irlandais de Vincennes et celle des écoutes téléphoniques. Il a ensuite pris son autonomie en fondant sa propre société « Secret » et il a conservé des liens opaques avec les Services français. C’est François de Grossouvre qui l’a présenté au président Habyarimana. Il a travaillé pour le gouvernement rwandais et particulièrement pour les extrémistes hutu. A travers divers témoignages, on le retrouve d’un bout à l’autre du génocide : sur le tarmac de l’aéroport de Kigali quelques jours avant la destruction du Falcon 50 qui transportait les deux présidents, pendant le génocide faisant venir des mercenaires et des armes pour épauler les FAR à la demande du ministre rwandais et, enfin, après le génocide, courant les médias, pour tenter de faire porter la responsabilité de l’assassinat d’Habyarimana au FPR de Paul Kagamé.
Autre Barbouze, dont on a découvert récemment la présence sur les lieux de ce crime, Bob Dénard, alias Robert Martin, puisque c’est sous ce nom qu’il a vendu des armes aux génocidaires. C’est un individu bien connu pour ses activités criminelles au Biafra à la fin des années 60 puis, surtout, aux Comores. Il a été un proche de Foccart et il a toujours organisé ses méfaits dans l’ombre des Services Français. A l’époque de l’indépendance, Bob Dénard et son équipe ont investi les Comores . En 1978, Bob Dénard a destitué le Président Ali Soilih M’tsashiwa, qui travaillait à l’indépendance réelle et à la justice sociale pour son pays. Il a ensuite été assassiné. Quelques années plus tard, son successeur, Ahmed Abadallah, a été tué par les sbires de Dénard. Après le génocide, en 1995, il a organisé, avec une équipe comprenant des activistes d’extrême-droite, liés à l’Œuvre Française des frères Sidos, une nouvelle aventure pour se débarrasser du nouveau président comorien, Saïd Djohar. Pendant le Génocide, toujours sous couvert des services français, on le retrouve au Rwanda, puis dans le Sud-Kivu, à Bukavu, trafiquant des armes au profit des Interahamwe (ceux qui travaillent ensemble en langue Kinyarwanda, milice criminelle devenue bras armé du génocide) réfugiés dans les Kivu.
6 – Polémique sur l’élément déclencheur du génocide.
Depuis le début la France tente de refuser sa responsabilité dans ce crime. Pourtant, cette activité « barbouzière » masque mal les services secrets français qui se cachent derrière elle. Mais il y a aussi l’accusation récente portée contre Hubert Védrine, alors Secrétaire général de l’Elysée, assurant que c’est lui qui avait exigé que les soldats français fournissent des armes aux génocidaires en fuite, ce qui vise clairement la France.
Le juge français Bruguière a tenté d’inculper des proches de Paul Kagame dans l’affaire de la destruction du Falcon 50. Mais le juge Trévidic, qui lui a succédé, est revenu sur ces accusations et le rapport d’expertise qu’il a commandé semble impliquer totalement la garde des rwandais Hutu extrémistes, en poste à Kanombe.
Guillaume Ancel, était lieutenant colonel de l’armée française, il a fait partie de l’opération turquoise et il revient dans la vidéo ci-dessous sur ces fameux tirs de missiles déclencheurs du génocide :
https://www.dailymotion.com/video/x7562im
Ajout du 17 mai 2020, après l’arrestation à Paris de Félicien Kabuga
7 – FRANCE : LE SYNDROME FAURISSON SUR LE RWANDA
Chaque grand crime est accompagné d’immenses mensonges pour camoufler l’ampleur des massacres et tenter de les justifier. Le rôle de la France dans le massacre des Tutsi avant, pendant et après le génocide fait partie de ce qu’on peut appeler le syndrome « Faurisson » du nom de ce sinistre individu qui a passé sa vie à tenter de nier les crimes nazis. Emmanuel Macron s’était engagé à faire toute la lumière sur l’implication de la France. Est-ce le sens de l’arrestation, le samedi matin 16 mai 2020, de Félicien Kabuga, l’un des principaux accusés encore recherchés par la justice internationale dans le cadre du génocide rwandais ? Effectivement, il s’agit d’un très gros poisson ainsi péché par l’équipe du colonel Eric Emeraux qui dirige l’office de lutte contre les crimes contre l’humanité. « C’est une belle journée pour la justice internationale » a-t-il déclaré pour saluer cette arrestation qui s’est déroulée à Asnières-sur-Seine, dans les Hauts-de-Seine, où ce criminel de 85 ans coulait des jours tranquilles sous une fausse identité. A l’époque du génocide, il était un proche du parti au pouvoir à Kigali et surtout de l’épouse du président. Un an avant, pour préparer ce crime, il avait, avec Agathe Habyarimana, mis en place et financé une radio qui a annoncé puis rythmé les massacres. Radio Télévision Mille Collines (RTMC) a été la terrifiante voix de la mort du 6 avril à la fin juin 1994. Le soir de l’attentat contre l’avion présidentiel, les animateurs de la radio ont commencé vers 21 heures, quelques dizaines de minutes seulement après le crash.
Mais cet événement, qui siffle le début de l’ignoble massacre, est évoqué quelques jours avant sur les ondes de la RTLMC :
« Le 4 ou le 5, il va se passer un petit quelque chose, annonce avec cynisme un animateur. A Kigali, en ces journées de Pâques, une petite chose est prévue. Cette petite chose va continuer les jours suivants… Hohoho ! »
A partir de ce moment, les animatrices et animateurs qui se succédaient au micro appelaient les auditeurs à tuer les Inyenzi (cafard, cancrelat, en Kinyarwanda), à leur faire regretter d’être nés.
Par ailleurs, le même Félicien Kabuga, qui était une des grosses richesses du Rwanda, un mois avant le début des massacres, a importé 25 tonnes de machettes chinoises, et c’est avec ces armes que 800.000 tutsi, hommes, femmes et enfants ont été violentés, torturés odieusement et finalement tués. Enfin, c’est le parti au pouvoir sous la houlette notamment de Agathe Habyarimana qui a organisé les milices Interahamwe qui ont constitué le bras armé des tueries. Agathe Habyarimana, autre gros poisson de ce génocide, a été exfiltrée par la France le 9 avril 1994, elle a reçu une somme rondelette à son arrivée à Paris. Elle habite actuellement dans le département de l’Essonne sous sa propre identité et sans problème malgré les demandes répétées de la justice rwandaise pour qu’elle réponde de ses crimes et la plainte déposée en février 2007 par le Collectif des parties civiles pour le Rwanda pour « complicité de génocide et crimes contre l’humanité ».
Quelle que soit la réalité des crimes dont elle est accusée, il est incontestable que la France porte une lourde responsabilité dans ce qui fut le dernier génocide du vingtième siècle.
Visite du mémorial du génocide.
Marseille, le 6 avril 2019 complété le 17 mai 2020
Jacques Soncin
5 réflexions sur « Le génocide des Tutsi au Rwanda »